Le poète romantique misogyne vu à travers le regard de sa maîtresse créole, Jeanne Duval : voilà l'idée du bédéaste Yslaire pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Baudelaire en 1821 par un album intitulé “Mademoiselle Baudelaire”.
C'est sans doute prendre le risque d'inventer un Baudelaire qui n'a jamais existé, car Jeanne Duval était muette, n'ayant pas besoin de causer pour séduire.
A quoi cette ravissante idiote (c'est Baudelaire qui le dit) de Jeanne Duval pensait-elle en se mettant à la colle avec Charles Baudelaire ? A son héritage ? Pas sûr, car la mère de Baudelaire privait son fils de cet héritage paternel, disant ainsi agir pour son bien. Baudelaire était peut-être tout à fait charmant en privé, mais savait bien qu'on ne fait pas de la littérature en trempant sa plume dans l'eau de rose - tout au plus du journalisme ou du feuilleton pour les dames ou les enfants.
Du point de vue du poète, Jeanne Duval représentait la tentation, au même titre que l'opium ou l'absinthe, voire l'art qui le fascina dès son plus jeune âge. Dans ses poèmes Baudelaire met le plus souvent ses propres souillures, l'aspiration à la mort qui les résume ; “sympathy for the Devil”, certes, mais sympathie dont Baudelaire ne fait pas un cantique moderne.
C'est le bourgeois qui est “satanique” selon Baudelaire, non le “dandy” qu'il était, en proie à ses démons mais luttant contre eux, au contraire du bourgeois qui mène une vie de cochon de naissance à trépas, sans se poser de questions. Et, dans sa misogynie radicale, Baudelaire assimile la femme au bourgeois. George Sand en particulier est sa bête noire. Parce que “la femme Sand” (ainsi la désigne-t-il) ne se contente pas de penser : elle conçoit une religion nouvelle, haïe par Baudelaire entre toutes : le socialisme.
Yslaire se demande pourquoi Baudelaire a conservé un parfum de soufre ? Le “dandysme” de Baudelaire, ne serait-ce qu'en raison de son individualisme, est peu conforme à l'esprit du temps, dominé depuis le XXe siècle par une sorte de cléricalisme socialiste.