Et pourtant, j'aurais pu. J'aurais pu parler d'abord de ce tout
nouveau rapport d'Oxfam France, Eqipop et Care France sur les réalisations en matière d'égalité des genres pendant le quinquennat qui vient de s'écouler. Vous savez, celui dont la grande cause nationale était justement l'égalité femmes-hommes. J'aurais pu citer ce chiffre totalement effarant : la politique en faveur de l'égalité des genres représente 0,25% du budget gouvernemental.
0,25%.
J'aurais pu parler de Gérald. Gérald, qui harcèle sexuellement et qui viole, et qui finit Ministre de l'Intérieur. Ben oui, c'est bien connu, les accusations de viol, ça leur gâche la vie et ça ruine leur carrière, aux agresseurs. À moins que ça ne soit l'inverse ? Gérald, qui
reprend des rhétoriques masculinistes face à une journaliste qui l'interpelle sur les maigres avancées de son ministère en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Gérald, à la tête de la police qui
insulte les victimes de grosse p*te et qui
célèbre les hommes le 8 mars. Ah, sacré Gérald.
J'aurais pu parler des débats lunaires qui ont eu lieu l'année dernière autour de l'écriture inclusive. Mais si, vous savez, quand les féministes hystériques et les lobbies LGTBQ+ ont demandé à ce que les femmes (la moitié de la population mondiale, une bricole) soient rendues visibles dans la langue française, plutôt que toujours implicites derrière un masculin neutre
qui n'en est finalement pas un. C'est évident qu'il est bien plus simple de signer des circulaires qui interdisent le point médian, plutôt que d'ouvrir un dialogue avec l'objectif de trouver un terrain d'entente. Mais je fais pas de politique, moi, alors qu'est-ce que j'en sais ?
J'aurais pu parler de
#BalanceTonBar, et dire qu'on n'est toujours pas en sécurité dans l'espace public. J'aurais pu parler de toutes les façons dont on doit se protéger quand on est dehors. Des modifications de parcours pour rester dans les rues éclairées, des clés entre les doigts, de la main qu'on garde sur notre verre en soirée, de la rame de métro qu'on choisit en rentrant, des infos de localisation qu'on envoie à nos copines, des regards qu'on évite, des insultes qu'on ignore, des fiancés qu'on doit inventer pour qu'on nous foute la paix.
J'aurais aussi pu parler de la manière désastreuse dont cette journée est
traitée par certaines marques, et de toutes les manières dont la cause elle-même est piétinée par les entreprises tout au long de l'année. Taxe rose, stéréotypes sexistes, harcèlement au travail, congé paternité, inégalités de salaires, représentation dans les organes décisionnels, et que sais-je encore. Not all entreprises, on sait, oui.
J'aurais pu parler de précarité. De précarité menstruelle, avec près de deux millions de personnes menstruées qui doivent encore faire le choix entre manger à leur faim et acheter des protections périodiques. De précarité financière qui s'est accrue avec la pandémie, et dont les mères célibataires sont les premières victimes. De la précarité
des travailleur·ses du sexe, aussi, mis·es en danger par les lois qui sanctionnent les clients et qui les empêchent d'accéder à toute forme de protection légale.
J'aurais pu parler des situations encore plus compliquées des femmes racisées, des femmes lesbiennes, des femmes voilées, des femmes trans, des femmes handicapées, des minorités de genre, et de la façon dont les spécificités de leurs identités ne sont jamais explicités, jamais prises en compte, jamais adressées.
Si j'avais voulu, j'aurais quand même pu parler des bonnes nouvelles. J'aurais pu parler de l'endométriose, en passe d'être reconnue comme enjeu de santé publique. J'aurais pu parler de la PMA qui, après plus d'une décennie d'attente, a enfin été accordée à toustes. J'aurais aussi pu mentionner l'accès (enfin) gratuit à la
contraception pour les femmes de moins de 25 ans, depuis le 1er janvier. Restons lucides, cependant : ces bonnes nouvelles n'auraient probablement pas pris plus d'un paragraphe.
Peut-être que si j'avais dû écrire en ce 8 mars, j'aurais parlé de
tout ce que le féminisme apporte à ma vie - même quand c'est compliqué, même quand ça me met en colère, et même quand ça me fait passer pour une casseuse d'ambiance.
… Vous savez quoi ?
Après tout, je crois que je vais quand même écrire sur ce 8 mars. Voilà ce que j'ai à dire :
Merci. Lâchez pas. On est ensemble. ❤️
Léa.