EN QUELQUES MOTS…
« Constructions »
Je travaille, en ce moment, sur les « constructions durables ». Une expression dont chaque mot est source de confusions.
« Constructions » indique à la fois, selon le Larousse, l’« action de bâtir » et « ce qui est construit, maison, bâtiment ou monument ».
Commençons par « l’action de bâtir ». L’Union européenne souhaite que « les
bâtiments construits après 2018 dans les Etats membres soient des bâtiments « zéro énergie », en produisant autant d’énergie qu’ils en consomment ». Les architectes s’en soucient de plus en plus et leurs plans, leurs projets les plus récents nous annoncent des appartements plus petits, plus verts, des bâtiments soucieux de leurs dimensions sociales.
Mais c’est le déjà construit, le bâti, qui pose problème : la plupart des maisons, immeubles et bâtiments de nos villes. Ça concerne d’abord les populations les plus défavorisées - près de
7 millions de personnes en France - en situation de « précarité énergétique » qui n’ont pas les moyens de se chauffer en hiver (15% d’entre eux ont déclaré avoir eu froid en 2017). Les aides existent mais elles sont si compliquées que « seulement 2% des Français interrogés savent qu’ils peuvent
bénéficier d’un prêt à taux zéro pour les travaux de rénovation énergétique ».
La rénovation concerne bien plus de gens et d’entités publiques comme privées. Elle est plus complexe et elle coûte très cher, mais la plupart des experts semblent penser que les investissements pour réduire la passoire énergétique seraient vite rentables. Malgré cela, foyers, entreprises et administrations ont du mal à se convaincre (quand ils en ont la possibilité) que l’investissement lourd à court terme apportera des bénéfices à moyen et long terme. Tout change si vite. Ne les avait-on pas convaincu de faire confiance au diésel ?
L’appel à la sobriété pour réduire la consommation peut-être utile mais les secrets de la motivation, ce qui permet de convaincre, restent largement mystérieux…
« Durables »
Le second mot de l’expression « constructions durables » est encore plus problématique. En choisissant de traduire « sustainable » par « durable » les Français (à moins que ce ne soient les Québecois) nous confrontent à de multiples difficultés.
Indice de ce que nous ne sommes pas sur la bonne piste, si on refait les traductions dans le sens inverse « durable » se re-traduit par « durable » - avec accent british, américain ou indien -, alors que « soutenable » est traduit par « tenable » (toujours avec accent). Nous avons un problème.
Le Cambridge Dictionary et Word Reference proposent de traduire « sustainable » par « viable ». Un terme que le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales définit comme « Qui est apte à vivre; qui possède, présente toutes les conditions indispensables à la vie ». Vous voyez la différence. La pierre ou la vie. A moins que nous ne préférions la définition du Larousse : « De nature à durer longtemps, qui présente une certaine stabilité, une certaine résistance ».
Et c’est là qu’est le piège : le mot durable nous empêche de nous mettre dans l’état d’esprit dont nous avons besoin aujourd’hui.
On construit en dur pour que ça dure alors que le défi est de s’adapter. Rien à foutre des donjons, chateaux-forts et autres constructions bétonnières qui durent une éternité… Notre-Dame, elle-même, ne survit qu’en s’adaptant… par la force des choses et c’est pourquoi elle n’est jamais reconstruite à l’identique.
Nous avons besoin de constructions vivantes, qui bougent et permettent de continuer à vivre dans des conditions acceptables. Une question de résilience que Chloë Voisin-Bormuth, de La Fabrique de la Cité explique avec beaucoup d’élégance : «
La résilience (le roseau) est dynamique quand la résistance (le chêne) est statique ; la première accepte dès l’origine la perte et le changement conséquent à l’adaptation, quand la seconde mise sur la protection face au choc et sur sa capacité à l’absorber — au risque de rompre si le choc est trop dur ».
Le CNRTL définit « soutenable » comme : « qui peut-être défendu avec raison ». Voilà pourquoi « durable » n’est pas « soutenable ».
Re-tricotons
- La consommation énergétique de l’immobilier est supérieure à celle de la mobilité ou de la production industrielle.
- Nous devons distinguer les constructions futures qui devront être conçues différemment de celles d’hier avec l’adaptabilité en mire plus que la durabilité, et le bâti dont la rénovation, complexe autant que coûteuse, risque de n’être que provisoire au vu des exigences croissantes d’efficacité énergétique.
- Notre manque de rigueur dans le choix des termes, s’il facilite la communication, perturbe la recherche de solutions efficaces. Plus grave encore, elles nous empêchent de changer de « mindset » d’état d’esprit, de façon de concevoir le problème.