Nous en venons à parler de Marc, qu'il n'a pas connu puisque Christian est arrivé pour la première fois à Rapa quelques années après sa mort.
Il commence par nous raconter les circonstances qui l'ont amené à pouvoir consulter les fameuses malles de Marc.
« Lors de mon premier séjour, j’ai créé des liens avec des amis de Marc, décédé 3 ans auparavant. Un jour, ils se sont proposés de m'ouvrir les malles de Marc qui étaient restées fermées depuis son décès dans la maison abandonnée de Teraimaeva, le père de Meretuini, qui se trouvait juste à côté de la maison où j'habitais. L’espace me fut ouvert avec bienveillance par Thierry avec évidemment l'accord de Meretuini, qui n’était alors pas dans l’île, dans l'idée que ça pourrait m’intéresser.
J'ai donc commencé l'exploration de ces malles. Cela me prit du temps, plusieurs jours, et je me souviens d'une scène qui m'a touchée. Ce matin-là, j'étais avec quatre proches de Marc. Ils et elles avaient appris que j'étais en train d'étudier le contenu des malles et avaient décidé de venir me tenir compagnie, assis en m’observant tranquillement à quelques mètres de moi. Je constatais qu'ils avaient l'air très contents de voir cette scène et qu'ils avaient un petit sourire en coin. Je leur ai demandé pourquoi ils souriaient. Ils restèrent silencieux un instant, puis l'une des personnes me dit qu’ils étaient émus parce que Marc avait prédit qu'un ethnologue viendrait un jour pour prendre connaissance des informations qu'il avait accumulées…»
Selon vous qui avez pu consulter ces malles, quels types de recherches Marc poursuivait-il à Rapa ?
« J'ai trouvé dans les malles toutes sortes de choses : des pilons, des morceaux d'herminettes, des objets anciens… Beaucoup d'articles sur Rapa qu'il avait obtenus de différentes bibliothèques dans le monde, et puis ses notes et ses écrits.
Sa démarche était transdisciplinaire. Son intérêt partait dans beaucoup de directions, sans - semble-t-il - véritable organisation ni méthode, mais avec un esprit d’ouverture très grand.
Sa quête était clairement mystique. Il avait de toute évidence une interrogation fondamentale, dont il cherchait les réponses dans l’île, comme s’il y avait un secret à découvrir à partir de bribes de connaissances qu’il collectait ou qui lui venaient spontanément ou dans ses rêves, je ne saurais dire. Mais j’ai cru comprendre qu’il n’en parlait pas beaucoup autour de lui et peu de Rapa étaient au courant de ses recherches. Mon impression est qu’il vivait à Rapa dans un monde parallèle, un monde à lui. »
Pour en savoir davantage, Christian Ghasarian nous renvoie lui aussi à Meretuini :
« Je pense que son épouse Meretuini, si elle veut bien vous en parler, aura des informations précieuses… »
Il poursuit cependant en nous apprenant une information nouvelle qui en dit beaucoup sur la quête mystique de Marc.
« Il souhaitait être enterré au fond de la baie principale dans la région de Paukare, un lieu qui lui était très cher. Je ne sais pas pourquoi. Et il voulait être placé dans un simple linceul, face contre terre. C’est symboliquement très fort et ça a interpellé les Rapa. Sa famille n’a pas pu réaliser son vœu car il était impensable d’être enterré de cette façon et qui plus est hors du cimetière du village. »
Nous pourrions continuer à parler des heures avec Christian mais le temps passe et nous avons une longue route à faire.
Avant de nous quitter, Christian et sa compagne qui nous a rejoint, entonnent debouts, en présence d’un couple d'amis, un chant rapa en guise d'au-revoir, très beau et mélancolique.
Marie Liblin, près de moi, a les larmes aux yeux.