J'ai eu un moment cette impression. D'une fébrilité du cerveau, d'une agitation pour m'adapter et d'un besoin de remplir les vides laissés par la disparition des temps de transports, des rando dans le métro, jusqu'aux micro-pauses d'attente. Au point de m'inquiéter. Notre temps deviendrait-il moins poreux, vidé de ses bulles qui nous permettaient de nous évader ?
Yves François et JĂ©rĂ©my Grivel m'ont rapidement rassurĂ©e. Nous n'y pouvons rien, nous passons la moitiĂ© de notre temps Ă©veillĂ© Ă rĂȘvasser, m'ont expliquĂ© le psychologue et le docteur en neurosciences. C'est en tous cas ce que montrent les Ă©tudes menĂ©es par rĂ©sonance magnĂ©tique. Un battement de paupiĂšres suffit. Nous sommes allĂ©s y faire un tour. Parfois ça dure dix minutes. Nos yeux ont continuĂ© Ă lire, sans savoir quoi.
Notre cerveau est en mode par dĂ©faut : « il reste trĂšs actif, consomme autant dâĂ©nergie que quand il lit, mais fonctionne diffĂ©remment, » expliquent les deux Suisses qui dirigent une agence de conseils aux entreprises qui encourage les salariĂ©s Ă rĂȘvasser.
« De façon automatique et non consciente, le cerveau passe alors en revue des dizaines, voire des centaines de solutions aux questions que nous nous posons, pour isoler les meilleures. Il plonge dans notre passĂ© pour se remĂ©morer toutes les façons dont nous avons rĂ©agi Ă une situation similaire, ou pour faire des liens avec dâautres Ă©vĂ©nements, dâautres donnĂ©es. Il teste des possibilitĂ©s et il construit, Ă partir de ce matĂ©riau ancien, un scĂ©nario nouveau, unique, adaptĂ©. » Si nous nâavons pas de problĂšme prĂ©cis Ă rĂ©soudre, « le cerveau peut, par ce mĂȘme mĂ©canisme de balayage, faire Ă©merger une idĂ©e nouvelle. Si cette idĂ©e, ou cette rĂ©ponse, est jugĂ©e gĂ©niale, le cerveau nous sort de notre rĂȘverie. »
L'essentiel Ă©tant de ne pas chercher Ă contrĂŽler et de ne pas culpabiliser de dĂ©crocher. « On devrait laisser les enfants rĂȘvasser sans leur reprocher d'ĂȘtre dans la Lune ! » rĂ©pĂšte Yves François, qui conseille les tĂąches rĂ©pĂ©titives : vĂ©rifier des noms sur des listes, remplir des formulaires, recopier des adresses, etc. Une discussion, un film, une confĂ©rence - mĂȘme visio - peuvent faire le mĂȘme effet.
Plus poÚte, Hermann Hesse se faisait lire les Mille et une nuits pour occuper « pendant des heures [son] attention avec des choses apparemment anodines (les lois régissant le vol des moustiques, l'oscillation rythmique des poussiÚres visibles dans les rayons du soleil, etc.) » Il pouvait aussi se retrancher sur son balcon, porte de la maison fermée à clé. Allant jusqu'à écrire un Art de l'oisiveté.
Montaigne lui aussi s'isolait, il se déplaçait beaucoup à cheval et cultivait ces moments propices aux idées.
Sans se retirer du monde pour autant,
condamnant d'un mĂȘme Ă©lan paresse et indolence mais Ă©galement
agitation vaine. Bref,
prĂ©fĂ©rant l'ĂȘtre Ă l'avoir, comme il l'Ă©crit dans ses
Essais : «
Lâabstinence de faire est souvent aussi gĂ©nĂ©reuse que le faire, mais elle est moins au jour ; et ce peu que je vaux est tout de ce cĂŽtĂ©-lĂ . »Â
â Elsa Fayner