L’opération de neurochirurgie allait durer une heure et demie. La patiente était éveillée. L’anesthésiste, postée près de son visage, prête à l’accompagner dans un voyage immobile.
Autour d’une maison de vacances en Lozère. C’est là que la patiente se sentait bien, qu’elle avait envie de retourner, avait-elle confié à Catherine Bernard lors du rendez-vous préparatoire au Kremlin Bicêtre. Le médecin avait pris quelques notes, un peu perplexe, n’ayant jamais mis un pied en Lozère. « Il a fallu que j’élargisse mes expériences sensorielles pour entraîner mes patients dans un endroit de sécurité avec toutes les sensorialités, pour donner des pistes avec suffisamment de choix et pouvoir m’adapter à chacun, » confie-t-elle aujourd’hui.
A l'époque, c'était l'une de ses premières opérations en hypnosédation : l’hypnose est combinée à une anesthésie locale et à une sédation légère. Et de se retrouver à passer des heures sur des annuaires en ligne de gîtes ruraux pour découvrir la maison en question pierre par pierre, sur Google Earth pour la sinuosité des chemins alentours, la disposition de la végétation, l’isolement du terrain, sur des sites de botanistes pour les plantes, les fleurs en cette saison, leurs particularités, leurs couleurs, leurs parfums. Mais aussi quels animaux, quelle météo ? Catherine Bernard a voyagé loin avant de pouvoir accompagner sa patiente sur le billard.
Après l'opération, la malade lui a confié, en baissant la voix : « Nous deux seules pouvons comprendre… »
C’est ça l’hypnose. La maison en Lozère, la framboise sur la langue, la chaleur sous les pins. Il s'agit de « vraiment » la déguster - la framboise - avec tous les sens. De faire « comme si » on y était - dans la cuisine, autour de ces cheminées au milieu de la pièce si spécifiques à la Lozère.
Des études d'imagerie cérébrale ont bien montré cette différence entre hypnose et imagination. Des chercheurs ont présenté aux participants un stimulus auditif, ils leur ont demandé ensuite de l’imaginer, puis ils les ont accompagnés en hypnose et suggéré de l’entendre. Dans ce dernier cas, les scientifiques ont observé la même activité cérébrale que lorsque le sujet entendait vraiment le son. En revanche, quand le sujet se contente de l’imaginer, cette zone n’est pas sollicitée.
Concrètement, les études montrent une activation du cortex préfrontal et du cortex cingulaire antérieur, zones de l’attention active : c’est donc un état de veille intense - tout sauf du sommeil -, pendant lequel nous sommes conscients de tout ce qui se dit et se passe autour de nous. Notre attention est totalement ouverte, elle saisit tout à la fois. Plus précisément : nous sommes tout entier dans le registre de la sensation.
A l’hôpital, des malades qui ne peuvent plus rentrer chez eux reviennent ainsi les joues roses après une « visite » de leur jardin, accompagnées par un infirmier. La douleur est moins ressentie dans ces cas-là. Surtout le champ des sensations s’élargit avec la pratique. L'hypnose rend plus attentif aux stimulations extérieures et donne envie de les cultiver. Pour mieux accompagner ses patients, Catherine Bernard s'est inscrite à des ateliers de Kōdō, cet art japonais qui entraîne à sentir les encens. Enfin, les initiés parlent de les « écouter ».
— Elsa Fayner