Sylvie Bagarie, grande lectrice, partage ses découvertes.
Noces Ă Tipasa, le premier des quatre rĂ©cits qui composent Noces, est un texte brĂ»lant et sensuel. En 1938, Albert Camus est un jeune homme, il erre parmi les ruines romaines, marche « à la rencontre de lâamour et du dĂ©sir ». Tout est sensation : Ă©craser les boules de lentisques et en savourer les parfums, plonger nu dans la mer, se laisser tomber sur le sable, Ă©treindre un corps de femmeâŠ
Peu de temps aprĂšs lâĂ©criture de ce rĂ©cit, la guerre est dĂ©clarĂ©e et Camus sâengage. Ces annĂ©es marquent pour lui la fin de la jeunesse.
Il retournera Ă Tipasa, quinze ans aprĂšs ; il en fait le rĂ©cit dans L'Ă©tĂ©. Il se sent vieilli dans une Ă©poque tragique et ne retrouve rien de ce quâil a aimĂ©. Câest lâhiver, il pleut, les ruines des temples sont entourĂ©es de barbelĂ©s. « Je ne pouvais, en effet, remonter le cours du temps, redonner au monde le visage que jâavais aimĂ© et qui avait disparu en un jour, longtemps auparavant. »
Pourtant, il y revient une nouvelle fois, un jour de grand soleil. Et, soudain, « comme il arrive une ou deux fois dans une vie⊠Je retrouvai exactement ce que jâĂ©tais venu chercher et qui, malgrĂ© le temps et le monde, mâĂ©tait offert, Ă moi seul vraimentâŠÂ »
MĂȘme si ce monde de lâaprĂšs-guerre meurt du malheur de ne pas aimer, il redĂ©couvre Ă Tipasa, quâil faut garder en soi une fraĂźcheur, une source de joie. « Aimer le jour qui Ă©chappe Ă lâinjustice, et retourner au combat avec cette lumiĂšre conquise ».
Câest une expĂ©rience singuliĂšre qui est offerte au lecteur avec ces deux rĂ©cits Ă©crits prĂ©cisĂ©ment au moment ou Camus a vĂ©cu les moments quâil raconte, et non des annĂ©es plus tard alors que la mĂ©moire a perdu de sa prĂ©cision. Une expĂ©rience prĂ©cieuse.
Albert Camus, Noces suivi de LâĂ©tĂ©, Folio
â Sylvie Bagarie